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Je ne suis pas allée marcher dimanche.

Pourtant je suis abasourdie, effarée, profondément triste et sans aucun doute effrayée. Pas par la foule, j’ai participé à pas mal de manif, et j’aime plutôt ça, cette espèce de mouvement collectif, citoyen, pas toujours bien au courant de ce pourquoi il bouge, mais il bouge et cela me semble essentiel. Parler, s’exprimer librement, défendre ses idées, me semble vital et pourtant je ne suis pas allée marcher…
Je crois qu’au fond j’avais envie de continuer à être responsable de tout ce gâchis… responsable de ce que devient notre pays, et que je sentais, pressentais, que cette marche si positive, si chaleureuse, si importante soit-elle risquait de me dédouaner de ma responsabilité. Je sentais comme cette foule risquait de me regonfler et ne me faire oublier ma peine, ma douleur, ma responsabilité.
Qu’est-ce que nous avons fait ?
Collectivement, nous avons laissé les religieux reprendre le pouvoir, nous dicter notre conduite, notre pensée.
Collectivement nous avons laissé les politiques décider, diriger, sans aller plus loin que le bulletin de vote et encore quand nous daignions y aller … Parce que nous n’avons plus confiance, mais dans une démocratie c’est bien à nous de décider, de choisir, de nous exprimer, Nous ne sommes même plus vraiment révoltés quand des catholiques disent qu’ils ne veulent pas respecter la loi de la république, plus vraiment révoltés quand des instances religieuses font reculer un gouvernement sur la question de l’égalité !

Aujourd’hui, l’appartenance religieuse tient lieu d’identité, je suis catho, je suis juif, je suis musulman, est trop souvent entendu comme une identité première… et cela me rend profondément triste… Hier les panneaux « je suis juif je suis musulman je suis catholique et je suis Charlie » fleurissaient partout… et pourquoi pas simplement « je suis un homme libre et je suis Charlie », « je suis une femme libre et je suis Charlie »
J’ai le sentiment de ne pas m’être suffisamment battue, de ne pas avoir gueulé suffisamment fort contre la bêtise ambiante qui grandissait, contre la perte d’identité qui insidieusement nous fait perdre de vue qui nous sommes vraiment, quel humain il y a l’intérieur de nous.
Non, être catho, juif ou musulman ne doit pas être une identité première, non, être homo, ou hétéro ne doit pas être une identité première, non, être de droite ou de gauche ne doit pas être une identité première.

Nous sommes avant tout des citoyens du genre humain vivant au même endroit et devant individuellement faire tous les efforts nécessaires pour que cela se passe le mieux possible.
Nous aurions dû être des personnes pensantes et défendre des idées, des points de vues, qui sont les nôtres et non dictés par la télé ou le culte… ni les églises ni la télévision ne doivent nous dicter en permanence notre conduite et notre façon de penser, nos sujets de « non-réflexion », nous vivons dans un pays laïc et républicain.
Nous aurions dû réfléchir plutôt que de suivre bêtement, naïvement, facilement des dogmes religieux et médiatiques qui passent leur temps à nous culpabiliser, nous juger, nous empêcher d’être responsables, nous empêcher de réfléchir…

J’aurai dû me battre plus fort quand les insultes deviennent un moyen de se parler entre amis, « petite pute, salope, gros pd, enculé » ne sont pas de mots d’amitié, de respect, d’attachement et non ce n’est pas normal de s’interpeller chaque jour comme cela entre amis, et non on ne peut pas sans cesse dire « mais c’est affectueux, c’est pas agressif, c’est pas méchant » NON, ce n’est pas normal, d’exprimer son affection avec les mêmes mots qui servent à insulter celui ou celle que l’on ne peut pas sentir.

J’aurai dû réagir plus fort quand j’entendais « sale français » prononcé par un autre français aux origines multiples, j’aurai dû réagir plus fort quand j’entendais « qu’ils rentrent chez eux » en parlant de gens qui sont chez eux.
J’aurai dû me battre plus fort pour que l’identité de citoyen ait un vrai sens, pour que nous ayons envie de vivre ensemble.
J’aurai dû me battre plus fort quand des jeunes me disent « Oh, non ! On ne va pas parler du racisme, on a déjà tout dit ! » « Oh, non ! On ne va pas parler de la shoah, on a déjà tout dit » Il faut croire que non… ou alors on en parle très très mal…

Et je suis aussi responsable de tout ça, responsable que des gamins soient complètement paumés au point de devenir des adultes armés de Kalachnikov, j’ai essayé mais je n’ai pas gueulé assez fort quand on me disait « pff c’est comme ça, c’est triste mais on ne peut pas grand-chose » .
Alors je tiens à m’excuser auprès de tous les jeunes de ne pas avoir crié « mais bougeons-nous avant qu’il soit trop tard ! » Oh, j’ai essayé parfois de le dire mais pas assez fort, pas assez souvent... et pendant que des gens marchaient hier, - et tant mieux qu’ils marchent, c’était sans doute nécessaire, important, - j’ai préféré garder ma peine et ma colère pour être certaine de ne pas les oublier trop vite, pour ne pas les noyer trop rapidement dans la foule, Je ne sais pas du tout si j’ai eu raison mais j’ai eu le sentiment que cette communion risquait de nous faire croire que nous sommes victimes du terrorisme, victimes de la bêtise, victimes des politiques, « Victimes » et non « Responsables ». Or c’est à nous de construire la société dans laquelle nous voulons vivre, c’est à nous de décider, de voter, de discuter, de réfléchir, c’est à nous de cesser de dire« ben oui, c’est comme ça, qu’est ce qu’on peut faire, qu’est ce qu’on peut changer » c’est à nous de hurler quand quelqu’un se fait agresser, à nous de hurler quand quelqu’un défend l’indéfendable, à nous de hurler quand la mollesse et la bêtise deviennent la règle pour ne pas heurter, pour ne pas dépasser, pour ne pas exagérer, ceux de Charlie « dépassaient » on les a assassiné… parce qu’ils ne sont pas assez nombreux à dépasser… ça choque, ça dérange, ça gêne,
Si nous ne pouvons pas changer la société dans laquelle nous vivons, alors cette marche n’aura servi à rien… Je crois qu’il est grand temps que nous soyons enfin adultes, cette société est la nôtre, ce monde est le nôtre, nous en sommes responsables.
Allez acheter Charlie Hebdo demain, c’est comme la marche, c’est bien, sûrement, mais ça ne ne suffira pas...
Alors qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Vous, moi, NOUS ?

Florence DELORME