Edmond Rostand (1868-1918)

Edmond Rostand est né (un premier avril) au sein d'une famille commerçante et bourgeoise de Marseille. À la carrière diplomatique qu'on espère pour lui, il préfère la littérature, la poésie et le théâtre. À vingt ans, en villégiature à Bagnères de Luchon où il passera plus de vingt étés, il écrit sa première pièce : Le Gant Rouge puis un recueil de poésie en 1890 : Les Musardises. Il rencontre en 1890 (il a trente-deux ans) la poétesse Rosemonde Gérard, filleule de Leconte de Lisle et pupille d'Alexandre Dumas. Le compositeur André Messager est, en 1890, leur témoin de mariage. De cette union naitront Antoine et Jean.

Carrière littéraire

Les Romanesques, pièce en vers présentée à la Comédie-Française en 1894, est son premier succès, mais Cyrano, en 1897, est un triomphe. Succès également L'Aiglon en 1900. Chanteclerc en 1910 sera accueilli plus fraichement.
Edmond Rostand est élu à l'Académie française le 30 mai 1901 (il n'a que trente-trois ans.)

Décès

Edmond Rostand est emporté en 1918 par la grippe espagnole qui fit au lendemain de la première guerre mondiale, entre 30 et 100 millions de morts.

Le choix de Cyrano

Contexte

En 1897, Rostand a 29 ans et la France ne va pas très bien. Après la défaite de 70, et la perte de l'Alsace-Lorrraine, l'année 1894 a été celle du démarrage de l'affaire Dreyfus et de l'assassinat de Sadi Carnot (qui fut, faut-il le rappeler, le génial concepteur des "vannes du Thiou" qui remontèrent de 20cm les eaux du lac d'Annecy). Certes, on a construit la Tour Eiffel et 1887-89, mais on ne s'en sort pas du scandale de Panama ni de la Grande Dépression (1873-1896) et le général Boulanger a mis fin à ses jours sur la tombe de sa maitresse en 1891. On est néanmoins dans ce qui sera nommé avec un brin de nostalgie, après la guerre de 14-18, "la Belle Époque". Sur un fond politico-économique peu réjouissant, la vie culturelle de Paris est à son apogée, dans tous les domaines et tous les arts se développent. Le cinématographe créé en 1895 par les frères Lumière, s'illustre en 1897 par le dramatique incendie du Bazar de la Charité.
On pourrait trouver une explication facile au succès de Cyrano : l'ambiance est morose et la France manque de héros.
Mouais, c'est un peu court....
Regardons un peu cette "ambiance morose".

Peinture

Il y a du monde et du beau monde !
Camille Pissarro (1830 - 1903),
Édouard Manet (1832 - 1883),
Edgar Degas (1834 - 1917),
Paul Cézanne (1839 - 1906),
Claude Monet (1840 - 1926),
Berthe Morisot (1841 - 1895),
Auguste Renoir (1841 - 1919),
Georges Seurat (1859 - 1891),
Edvard Munch (1863 - 1944),
Gustave Caillebote (1848 - 1894),
Paul Gauguin (1848 - 1903),
Vincent van Gogh (1853 - 1890),
Henri de Toulouse-Lautrec (1864 - 1901),

Musique

Pas mal non plus :
Franz Liszt (1811 - 1886),
Giuseppe Verdi (1813 - 1901),
Richard Wagner (1813 - 1883)
Charles Gounod (1818 - 1893),
Johannes Brahms (1833 - 1897),
Camille Saint-Saëns (1835 - 1921),
Georges Bizet (1838 - 1875),
Piotr Tchaïkovski (1840 - 1893),
Gabriel Fauré (1845 - 1924),
Giacomo Puccini (1858 - 1924),
Gustav Mahler (1860 - 1911),
Claude Debussy (1862 - 1918)

Le théâtre

Il connait une intense activité : pas moins de 32 000 pièces sont données à Paris tout au long du XIXè siècle. Sur les boulevards, on s'est lassé des drames bourgeois du XVIIIè auxquels on a préféré le drame romantique initié par Victor Hugo (Hernani 1830), Musset (Lorenzaccio 1834), Dumas (Henri III et sa cour 1828), Vigny (La Maréchale d'Ancre 1831)...
Mais même cette période de grandes fresques historico-mélodramatiques aux décors imposants a cédé la place au naturalisme (Zola : Thérèse Raquin 1873, Ibsen : Une Maison de poupées 1879, Strindberg : Mademoiselle Julie 1888) et au symbolisme (Maeterlinck : Pelléas et Mélisande 1892).
Mais à côté de ces genres sérieux, le théâtre de divertissement coule des jours heureux, les vaudevilles de Courteline (1858-1929) et Feydeau (1862-1921) ont succédé à ceux de Labiche (1815-1888) et aux opérettes de Jacques Offenbach (1818-1880).
La comédie de mœurs connait elle aussi les faveurs du public : ainsi, entre autres exemples, le Monde où l'on s'ennuie d'Edouard Pailleron (1881), connut plus de 1000 représentations à la Comédie-Française !

Littérature

L'époque est tout simplement extraordinaire, jugez plutôt.

En France

Les contemporains de Rostand sont
Victor Hugo (1802-1885)
Leconte de Lisle (1818-1894)
Gustave Flaubert (1821-1880)
Jules Verne (1828-1905)
Emile Zola (1840-1902)
Alphonse Daudet (1840-1897)
Stéphane Mallarmé (1842-1898)
Paul Verlaine(1844-1896)
Guy de Maupassant (1850-1893)
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Maurice Maeterlinck (1862-1949)
Pierre Louÿs (1870-1924)

Hors de France

Hermann Melville (1819-1891)
Fiodor Dostoïevski (1821-1881)
Leon Tolstoï (1828-1910)
Arthur Conan Doyle (1859-1930)
Anton Tchekov (1860-1904)

Roman historique

Alexandre Dumas (1802-1870) avait ouvert la voie enthousiasmante des héros de cape et d'épée avec ses Trois Mousquetaires (1844) et son Comte de Monte-Christo (1844-46). Si le personnage de Cyrano a une indiscutable parenté avec les histoires merveilleuses et les déclarations fracassantes des personnages de Dumas, et même avec la vie de Dumas lui-même qui ne fut avare ni de gestes ni d'excès ni de grandes phrases, c'est peut-être parce que celui-ci faisait partie du conseil de famille de Rosemonde Gérard, épouse de Rostand. Orpheline de père, elle avait pour parrain Leconte de Lisle et Dumas pour tuteur.

Figures héroïques

Quelques romans et héros de cape et d'épée, prédécesseurs de Cyrano :
Ivanhoé (Walter Scott, 1819)
Quentin Durward(Walter Scott, 1823)
Latréaumont (Eugène Sue, 1840)
Lagardère (Paul Féval, Le Bossu, 1857)
D'Artagnan (Dumas, Les Trois Mousquetaires 1844)
Le Capitaine Fracasse (Théophile Gautier, 1863)

Anecdote

Il semble que l'auteur, qui connaissait parfaitement l'œuvre de Cyrano, se soit inspiré d'au moins un événement de son histoire personnelle pour faire de Cyrano le personnage haut en couleur et consensuel mais extrêmement différent de l'original que l'on connait : Edmond Rostand fut, jeune homme, l'auteur secret de lettres d'amour qu'un ami envoyait à une jeune snob pour la séduire.
Quant à l'idée du nez difforme, elle lui serait venue, outre de celui de Cyrano lui-même - qui, à défaut d'en avoir un aussi monstrueux que le dit la pièce, l'avait très chatouilleux sur le plan de l'honneur -, des Grotesques de Théophile Gautier et/ou du maître d'étude de l'enfance de Cyrano et Le Bret surnommé Pif-Luisant. Mais ce sont là des pistes légères et c'est à sa seule imagination, à son érudition et à son talent qu'il faut attribuer les mérites de cette énorme pièce.

Doutes

La partie n'est pourtant pas facilement gagnée. Cinq actes répartis dans autant de décors et sur deux époques différentes, quarante huit rôles, dont celui, énorme, de Cyrano (1600 vers sur les 2600 que compte la pièce), des scènes de combat, une guerre... lors de la générale du 27 décembre 1897, Rostand se confond en excuses auprès de Coquelin, créateur du rôle de Cyrano, pour l'avoir "entrainé dans une pareille aventure". Mais le lendemain, la première est un triomphe : vingt minutes d'applaudissements à tout rompre et le ministre des finances qui vient épingler sur la poitrine de Rostand sa propre légion d'honneur...
Encensé par une partie de la critique, éreinté par l'autre, Cyrano rapportera, pour la seule année 1898, 2 228 000 francs au théâtre de la Porte St Martin, la plus grosse recette de tous les temps pour une pièce de théâtre. (À titre de comparaison, le kilogramme de pain valait en 1898, entre 50 et 90 centimes et le salaire journalier moyen d'un ouvrier était d'environ 3 Francs).